Première ! Haïfa U., Weizmann, CRG Barcelone : séquençage du transcriptome de chaque cellule des coraux durs. Commentaire d’Ifremer

Credit: Dr. Shani Levy and Hagai Nativ Credit: Dr. Shani Levy and Hagai Nativ

Dans une étude conjointe, l’Université de Haïfa et l’Institut Weizmann (Israël) et le Centre de régulation génomique (Espagne, Barcelone) ont réussi à séquencer, pour la première fois, le programme génétique de chaque type cellulaire des coraux durs, c’est-à-dire les coraux qui ont un squelette. Cela va permettre aux chercheurs de comprendre quelles cellules participent aux processus clés du développement du corail : formation du squelette, du système immunitaire…

Compte tenu des dommages et du déclin des coraux, et de l’impact dévastateur sur l’écosystème et sur toute la planète, les chercheurs ont également développé une application qui fournit aux autres chercheurs un accès facile à l’information afin qu’ils puissent examiner, via un processus simple, comment les gènes participent à un processus donné. «Nous pensons que nos résultats constitueront une étape importante pour toute la recherche sur le corail et la conservation des récifs coralliens», précisent les chercheurs.

Un séquençage capital pour la survie des récifs

Dr Tali Mass

Dr Tali Mass

«Les récifs coralliens jouent un rôle essentiel dans l’écosystème des océans et des mers. Ils fournissent un habitat à environ 25% des animaux de la mer et construisent les plus grandes structures biogéniques au monde. Le réchauffement de l’eau de mer et l’augmentation de l’acidité constituent une menace pour l’avenir des récifs coralliens. Le séquençage génétique que nous avons réalisé est donc capital pour la survie des récifs coralliens et l’avenir des océans», explique le Dr Tali Mass (l’un des l’auteurs de l’étude). Le Dr Mass dirige le laboratoire de biominéralisation et de physiologie des coraux au sein de la Leon H. Charney School of Marine Sciences de l’Université de Haïfa.

«Malgré sa grande importance écologique, on sait très peu de choses sur le profil génétique de chaque cellule du corail. Comprendre la structure cellulaire nous aidera à comprendre les processus biologiques qui permettent l’existence du récif corallien», souligne le Dr Shani Levy de l’Université de Haïfa, le chercheur postdoctoral qui a dirigé l’étude. Les récifs coralliens remplissent de nombreuses fonctions qui sont également importantes pour les humains. Dans de nombreux domaines, ils servent d’attraction touristique ; ils contribuent à préserver le littoral et servent de brise-lames naturel ; ces dernières années, ils sont devenus une ressource importante pour l’industrie pharmaceutique.

Cependant, leur fonction la plus importante est de servir de «forêts tropicales» de la mer, le fondement principal de l’écosystème et leurs relations symbiotiques avec un type particulier d’algues permettent aux récifs coralliens d’être la principale source de photosynthèse en mer. «La taille des récifs coralliens place le processus de photosynthèse à une échelle similaire à celle des forêts tropicales, par conséquent, de graves dommages aux récifs sont analogues au déclin incontrôlé des forêts tropicales», ont expliqué les chercheurs. Cependant, la hausse des températures de la mer due au réchauffement climatique et à l’acidification des océans, constitue une menace pour la survie des récifs coralliens, et donc un danger pour l’équilibre des divers écosystèmes qui dépendent de ces récifs.

Les coraux, des êtres vivants exceptionnels

Selon les chercheurs, les coraux sont des êtres vivants exceptionnels. Ils commencent leur vie en tant que larve planctonique qui «nage» avec les courants de la mer. À un certain moment, lorsqu’il trouve un endroit approprié pour s’installer, il devient immobile et commence rapidement à former son squelette de carbonate de calcium, qui est à la base des récifs coralliens. Cette étude a tenté d’identifier le programme d’expression génique des différents types de cellules dans le corail dur Stylophora pistillata (corail capuchon ou corail de chou-fleur lisse), un corail très répandu dans les récifs tropicaux du monde entier.

Dr Amos Tanay Weizmann Institute

Dr Amos Tanay Weizmann Institute

Cette étude est le fruit d’une collaboration du Dr Mass de la Leon H.Charney School of Marine Sciences de l’Université de Haïfa, avec le Dr Arnau Sebé-Pedrós du Centre de régulation génomique de Barcelone et le Pr Amos Tanay de l’Institut Weizmann. Les chercheurs ont utilisé des méthodes innovantes pour mesurer l’expression génique de chaque cellule individuelle (séquençage d’ARN unicellulaire), et ils ont réussi à séquencer des dizaines de milliers de cellules de cette manière. Après avoir traité et analysé leurs découvertes, ils ont identifié environ 40 types de cellules dans le corail au cours de sa durée de vie du stade larvaire mobile à son existence en tant que créature immobile. Les chercheurs ont pu identifier, pour la première fois, les mécanismes moléculaires responsables des processus de base qui permettent l’existence du corail, telle la formation d’un squelette, la symbiose entre l’algue et l’hôte, les systèmes immunitaire et digestif du corail, et ainsi de suite.

800 gènes identifiés

Dr Arnau Sebé-Pedrós

Dr Arnau Sebé-Pedrós

Leur séquençage a permis notamment aux chercheurs d’identifier quels gènes participent à chaque processus. À titre d’exemple, ils ont identifié environ 800 gènes qui sont exprimés dans les cellules responsables de la formation du squelette, y compris des transporteurs de carbone et des gènes acides identifiés par le Dr Mass dans le passé qui ont des fonctions clés dans la construction du squelette. Les chercheurs ont également découvert que les facteurs de transcription, tels que l’IRF et le NFAT, et les récepteurs caractéristiques du système immunitaire des coraux, sont similaires à ceux trouvés dans le système immunitaire des mammifères. Par comparaison entre le programme d’expression des cellules coralliennes et ceux d’autres cnidaires (anémones de mer, coraux mous, méduses…), les chercheurs ont également réussi à déchiffrer l’histoire évolutive commune de chaque type cellulaire. Compte tenu de la grande importance de l’avenir des récifs coralliens, il est difficile de surestimer l’importance de ce nouvel atlas génétique.

Tout comme cette méthode innovante de séquençage monocellulaire permet aux scientifiques du monde entier de mieux comprendre la fonction de gènes spécifiques dans les cellules cancéreuses ou dans les cellules cérébrales de mammifères, elle permettra aux chercheurs de comprendre quelles cellules et quels gènes sont responsables des différentes fonctions dans corail et cela ouvrira la porte à de nouvelles possibilités dans la «médecine» du corail. «Grâce aux nouvelles informations, nous pourrons entreprendre des expériences beaucoup plus ciblées. Nous pourrons examiner, au niveau génétique, pourquoi certains coraux sont plus résistants aux changements de température que d’autres. Nous pourrons entreprendre des expériences ciblées sur la capacité des coraux à devenir résistants à l’augmentation de l’acidité dans l’eau. De plus, nous sommes en mesure d’étudier s’il est possible de modifier les gènes des coraux afin de les rendre plus résistants et de nombreuses autres possibilités », ont conclu les chercheurs.

Publication dans Cell 3 mai 2021 

——————————

L’avis de l’expert : Dr Jérémie Vidal-Dupiol, Ifremer 

Dr Jérémie Vidal-DupiolLe Dr Jérémie Vidal-Dupiol, chargé de recherches à l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) au laboratoire IHPE (Université de Montpellier), est spécialisé en écologie moléculaire et mécanismes d’adaptation des coraux aux changements environnementaux. Il explique à Israël Science Info ce que ces travaux des chercheurs apportent de nouveau.

« Le nombre de publications sur les coraux a explosé ces quinze dernières années. Le fait qu’ils aient publié dans Cell est pour moi un indice important car c’est une revue plus claire et plus spécialisée que les revues de prestige. Ce travail remarquable a permis de remettre les projecteurs sur les grandes caractéristiques physiologiques des coraux Scleractiniaire*. Elles avaient été étudiées par le passé de façon moins intégrée et moins globale. Ces fonctions  que sont la biominéralisation et la symbiose permet au coraux de construire un squelette calcaire dans un milieu très pauvre en nutriment. Ces cette double compétence qui a permis la naissances des récifs coralliens. Un autre intérêt de cette étude repose sur les informations qu’elle apporte à propos de l’immunité de ces organismes et la conservation de certain mécanismes immunitaires qu’il partage avec nous humains. Ces travaux montrent que ces coraux ont inventé beaucoup de choses dont tout le vivant a hérité.

Les chercheurs ont effectué le décryptage de l’expression du génome, ils ont regardé quels étaient les gènes exprimés dans chaque type cellulaire. Cela a été rendu possible grâce à une technologie assez récente, le single Cell RNA seq, qui était utilisé dans la santé humaine et qui aborde maintenant la science des organismes d’intérêt écologique ou économique..

Le single Cell RNA seq recouvre la notion de catalogue des gènes exprimés, régionalisé ensuite dans l’organisme, ce qui a amené les chercheurs à parler d’un « atlas ». Cet outil précieux ne sera pas directement utilisable pour une meilleure protection des coraux et des récifs coralliens, mais il permettra d’aider à l d’identification d’outils, par exemple, les biomarqueurs de réponse aux maladies, de réponse au stress, ou de mesurer des points particuliers de la physiologie des coraux, comme la croissance qui sera impactée par l’acidification des océans. Comprendre la logique de cette croissance au niveau moléculaire va permettre de la mesurer assez finement au travers de l’expression des gènes de coraux plus ou moins exposés à cette acidification. C’est un outil assez exhaustif pour mes recherches, très précis, puisqu’il me permettra de me focaliser sur des fonctions assurées par des lignées cellulaires particulières.

Dans mes travaux, j’étudie beaucoup la réponse des coraux au stress environnemental. Avoir une vision globale d’une caractéristique biologique ou d’une fonction biologique à l’échelle moléculaire va me permettre de mieux appréhender le message qu’ils nous envoient dans leurs réponses. Par exemple, si je stresse les coraux avec la température et que l’intégralité des gènes qu’ils ont associés à la fonction de minéralisation sont réprimés, je vais pouvoir informer mes collègues que durant cette période de stress, les fonctions de minéralisation sont réduites ».

* ensemble des coraux fabricant un squelette calcaire

Israël Science Info