Panspermie et origine de la vie terrestre : pour David Elbaz, CEA, « le modèle du Technion ajoute une brique à l’édifice »

L'astéroïde Oumuamua représenté sous la forme d'un cigare. Mais il pourrait tout aussi bien être plat et fin comme une crêpe L'astéroïde Oumuamua représenté sous la forme d'un cigare. Mais il pourrait tout aussi bien être plat et fin comme une crêpe

Des chercheurs de la faculté de physique du Technion en Israël ont résolu un mystère scientifique concernant une étape critique de la formation des planètes. Le nouveau modèle a des implications intéressantes pour le concept de « panspermie » c’est-à-dire la transition de matériel biologique entre différents systèmes planétaires. Le Dr David Elbaz*, directeur de Recherche au CEA et membre du comité scientifique d’Israël Science Info, commente cette annonce.

« À quel moment commence la recette de la vie ? Nous savons que le fer et l’oxygène qui donnent la couleur rouge de notre sang proviennent d’explosions d’étoiles, mais qu’en est-il des organismes complexes que sont les cellules vivantes ? Les molécules vibrent en générant des signatures spectrales bien spécifiques qui permettent de dire avec assurance qu’il existe des molécules complexes contenant plusieurs cycles aromatiques un peu partout dans l’univers. La chiralité de nos acides aminés – c’est-à-dire la présence d’une seule symétrie gauche et l’absence de molécules de symétrie droite – pourrait elle aussi trouver son origine dans le cosmos, en raison de l’influence de la lumière polarisée dans les nébuleuses. L’article des chercheurs du Technion rajoute une brique à l’édifice : la formation des planètes du système solaire aurait pu bénéficier de l’apport de matière issue d’autres systèmes solaires, à l’instar de cet objet en forme de cigare qui a récemment traversé le système solaire, Oumuamua ».

David Elbaz ajoute : « L’apport de tels objets pourrait résoudre une énigme encore débattue parmi les spécialistes, à savoir le passage continue de grains de poussières de la taille du micromètre à celle des planètes passe par un seuil difficile à franchir au-delà du mètre. Or, un tel apport pourrait s’accompagner de cellules vivantes et donc participer à la genèse de la vie terrestre, en supposant que l’objet soit suffisamment massif pour protéger les cellules vivantes contres l’effet destructeur des rayons cosmiques. De quoi ravir le cosmologiste britannique Fred Hoyle, inventeur involontaire du terme Big Bang, pour qui la recette de la vie aurait débuté dans le cosmos et la Terre aurait été ensemencée par des comètes ou des météorites contenant des cellules vivantes. Hoyle croyait tant à sa théorie de la panspermie qu’il considérait que certaines maladies et épidémies tombaient du ciel ».

Les chercheurs du Technion (le Pr Hagai Peretz, le doctorant Evgeni Grishin et Yael Avni) ont présenté ce modèle novateur pour le développement de planètes à partir de « graines » provenant d’autres systèmes planétaires. Aux premiers stades de la formation du système solaire, avant la formation des planètes, un disque de poussière et de gaz entoure le jeune soleil. Ce disque fournit aux futures planètes la matière première pour leur création. À première vue, il s’agit d’un processus simple par lequel les grains de poussière se collent les uns aux autres et forment des blocs de matière de plus en plus importants – des pierres, à partir desquelles des roches se forment, formant de petits corps célestes qui se heurtent et se collent jusqu’à former une planète entière.

Yael Avni, Hagai Peretz, Evgeny Grishin

Yael Avni, Hagai Peretz, Evgeny Grishin

Cependant, cette théorie de la croissance présente un goulot d’étranglement dans la phase de transition, passant de petites pierres (de 1 cm à 1 m) à plus d’un kilomètre de diamètre. Les conditions physiques prévalant dans les disques pré-planétaires incluent un très fort flux de gaz qui devrait éroder ces pierres et même bloquer leur mouvement. Lorsque le mouvement des pierres ralentit, elles risquent de continuer au centre du disque et de devenir absorbées par le soleil. De plus, les collisions entre petites pierres ne risquent pas de provoquer une contraction, mais plutôt de les diffuser. En d’autres termes, face aux petits rochers et pierres, se trouve la « barrière du mètre » – une phase de développement au cours de laquelle la taille limitée réduit leurs chances de survie et de croissance.

« Le modèle normal souffre d’un goulet d’étranglement important, car il nécessite un saut déraisonnable au-dessus de la Vallée de la Mort du passage de la poussière et des pierres, à l’échelle du calibre. C’est pourquoi les astrophysiciens du monde entier recherchent une explication alternative pour le développement des grands corps célestes à partir du moment où le diamètre du bloc émergeant dépasse un kilomètre, le modèle existant fonctionne bien, car à ce stade, l’objet est capable d’absorber des objets plus petits qui le transformeront d’un embryon planétaire en une véritable planète », explique le Pr Peretz.

Les chercheurs du Technion se sont inspirés de l’événement de 2017 : le corps interstellaire allongé Oumuamua a pénétré dans le système solaire et a été identifié par différents observateurs. La découverte de cet « os » a donné lieu à de nombreuses hypothèses, mais une chose est sure : il ne provient pas du système solaire. Oumuamua a confirmé d’anciennes évaluations scientifiques selon lesquelles le milieu interstellaire – le matériau trouvé dans l’espace entre les différents systèmes solaires – est rempli de mottes de roche qui le célèbrent. En général, on suppose que de tels restes sont émis par divers systèmes planétaires aux premiers stades de leur formation.

Selon le modèle proposé par les chercheurs du Technion, des Oumuamua et des objets plus grands voyagent entre différents systèmes solaires, et certains sont capturés dans des disques pré-planétaires de jeunes soleils. Dans le cas spécifique de la Terre, pour chaque planète au stade embryonnaire, la Terre avait aussi un disque pré-planétaire de gaz et de poussière qui entourait le jeune soleil. Selon ce modèle, ce disque a capturé une grande masse rocheuse d’une autre planète et autour d’elle, au cours d’un long processus, la Terre s’est formée telle que nous la connaissons aujourd’hui.

En résumé, la clé pour résoudre le mystère de la Vallée de la Mort est constituée d’objets interstellaires provenant d’autres systèmes planétaires et constituant une « graine » pour le développement de nouvelles planètes. « Aucun système planétaire n’est créé à partir de graines provenant d’autres systèmes et qui produisent ensuite leurs propres graines, qui seront envoyées dans l’espace et généreront de nouveaux systèmes planétaires », expliquent les chercheurs. Afin d’estimer la faisabilité du modèle innovant, les chercheurs ont développé un modèle mathématique qui examine la probabilité d’un tel semis. Ils ont constaté que la capture requise d’objets dans des disques pré-planétaires n’est pas un phénomène courant, mais tout à fait raisonnable.

Ce modèle innovant a d’autres implications biologiques et évolutives intéressantes. Selon le Pr Peretz, « Si nous comprenons que les roches peuvent se déplacer entre différents systèmes planétaires, il existe un nouveau modèle de panspermie – une transition de la vie entre ces systèmes – permettant de capturer un matériau biologique actif et de lui permettre de survivre à un tel voyage planétaire. Donc, si nous parlons d’un rocher long d’un kilomètre, la possibilité de préserver des bactéries ou d’autres matières biologiques n’est pas du tout absurde. La Panspermie n’est pas une nouvelle théorie, mais notre modèle fournit une explication de sa faisabilité ».

Publication dans les Notices Monthly de la Royal Astronomical Society

Traduction/adaptation Esther Amar pour Israël Science Info

*David Elbaz, astrophysicien, est directeur de recherche au Commissariat à l’Energie Atomique (CEA Saclay) où il dirige le laboratoire Cosmologie et Evolution des Galaxies. Il est conseiller scientifique auprès de l’agence spatiale européenne pour la sélection de ses futures missions spatiales (ESA, AWG) et membre du Comité d’évaluation sur la recherche et l’exploration spatiales pour le centre national d’étude spatiales (CNES). Spécialisé dans l’étude de la formation des galaxies, David Elbaz est auteur/co-auteur de 261 publications dont 70 avec plus de 100 citations. Ses travaux sur la formation des galaxies ont été primés par le Prix Chrétien de la Société Américaine d’Astronomie (2000), il a reçu le prix Jaffé 2017 de l’Institut de France. Il enseigne un cours sur la formation des galaxies au master M2 Astronomie & d’Astrophysique de Paris. Il a reçu le Prix du livre Science & Philosophie 2017 de l’association X-Philo de l’école Polytechnique. Il a publié « A la recherche de l’univers invisible : matière noire, énergie noire, trous noirs », en 2016 aux Editions Odile Jacob.

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