Le biologiste français Eric Karsenti, médaille d’or 2015 du CNRS pour ses travaux sur les océans et la biodiversité

Eric Karsenti, directeur de recherche émérite au CNRS Eric Karsenti, directeur de recherche émérite au CNRS

On se souvient que le biologiste cellulaire Eric Karsenti avait été invité en Israël en 2008 par l’Institut Weizmann des Sciences pour intervenir lors de la conférence intitulée Frontiers in quantitative biology. Cet éminent chercheur vient de recevoir la médaille d’or du CNRS, la plus prestigieuse récompense scientifique française. La carrière d’Eric Karsenti, directeur de recherche émérite au CNRS, a été marquée par des découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire, c’est-à-dire les mécanismes permettant aux cellules de se diviser. Elle a été effectuée en grande partie au Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) en Allemagne. Eric Karsenti a également été un pionnier des approches interdisciplinaires en biologie cellulaire. Sa démarche a été mise en pratique au département de biologie cellulaire et biophysique qu’il a fondé en 1996 puis dirigé au sein de l’EMBL. Toujours soucieux de repousser les frontières de la connaissance, Eric Karsenti a été à l’initiative de l’expédition Tara Oceans (2009-2013) dont l’objectif était de cartographier la biodiversité des océans et qui a livré cette année ses premiers résultats.

Cette récompense lui sera remise le 14 décembre prochain lors d’une cérémonie à la Sorbonne. La médaille d’or du CNRS est la plus haute distinction scientifique française. Elle distingue chaque année, depuis sa création en 1954, l’ensemble des travaux d’une personnalité scientifique qui a contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au rayonnement de la recherche française.

Né le 10 septembre 1948 à Paris, Eric Karsenti commence sa carrière de chercheur au laboratoire d’immunocytochimie de l’Institut Pasteur où il soutient sa thèse d’Etat en 1979. Recruté en 1976 par le CNRS, il sera ensuite détaché en post-doctorat à l’université de Californie à San Francisco de 1981 à 1984. A son retour des Etats-Unis, il dirige une équipe au département de biologie cellulaire de l’EMBL à  Heidelberg (Allemagne), qui est très rapidement identifiée comme l’une des équipes les plus influentes dans le domaine du cycle cellulaire en pleine explosion à cette époque. En 1988, Eric Karsenti initie la première conférence Jacques Monod sur le cycle cellulaire à Roscoff, aujourd’hui devenue le rendez-vous incontournable dans ce domaine. En 1996, soucieux de développer l’interdisciplinarité, il crée le département de biologie cellulaire et de biophysique de l’EMBL, l’un des premiers centres au monde associant biologistes et physiciens. Entre 2001 et 2003, Eric Karsenti dirige l’Institut Jacques Monod à Paris avec la même ambition. En parallèle, il occupe la fonction de conseiller auprès d’Elisabeth Giacobino, directrice de la recherche au ministère de la Recherche, tout en poursuivant son activité à l’EMBL. C’est au cours de cette parenthèse parisienne qu’il imagine l’expédition scientifique autour du monde dont il rêve depuis la lecture du livre de Darwin relatant le voyage du Beagle. Le projet s’est concrétisé en 2009 avec Tara Oceans. Aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS, Eric Karsenti est actuellement affecté à l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure (CNRS/ENS/Inserm), tout en conservant ses fonctions de directeur de Tara Oceans et de visiteur à l’EMBL.

Figure de référence dans le domaine de la biologie cellulaire, Eric Karsenti a effectué, avec son équipe à l’EMBL, des découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire, soit les mécanismes permettant aux cellules de se diviser et de transmettre à chaque cellule-fille exactement le même contenu en chromosomes. Il s’est en particulier intéressé à l’horloge qui rythme les divisions de l’embryon et régule la dynamique du cytosquelette lors de la mitose, l’étape de division de la cellule. Surtout, Eric Karsenti et son groupe ont démontré comment une enzyme (la kinase cdc2) déclenche la division cellulaire. L’une de leurs découvertes les plus novatrices porte sur le rôle essentiel des chromosomes dans l’assemblage du fuseau de division lors de ce processus. Au cours de la mitose, la kinase cdc2 déstabilise les microtubules, des tubes creux de 25 nanomètres de diamètre. Les chromosomes créent alors un gradient de régulateurs qui stimule la formation et la stabilité de ces microtubules. Ceux-ci s’auto-organisent ensuite en un fuseau autour des chromosomes et deviennent la « machine » qui les distribue aux deux cellules-filles lors de la division. Selon Eric Karsenti, il s’agit d’un exemple d’auto-organisation cellulaire, un principe que l’on retrouve dans la totalité des mécanismes de morphogénèse cellulaire et embryonnaire. C’est la première fois qu’on comprend comment des fonctions complexes émergent du comportement collectif des composants cellulaires.

Par ailleurs, en étroite collaboration avec des physiciens, Eric Karsenti a construit une plate-forme pour modéliser l’organisation cellulaire à un niveau très fin. Il a été un pionnier des approches interdisciplinaires en biologie cellulaire, en alliant mesures de forces et modélisation mathématique à la biologie de synthèse et à l’imagerie de pointe. Ses travaux ont donné lieu à plus de 200 articles scientifiques.

Féru de voile et aventurier dans l’âme, Eric Karsenti a toujours été passionné par la mer. C’est pour mieux saisir le rôle clef de la vie microscopique des océans qu’il s’est lancé dans une nouvelle aventure : Tara Oceans. Afin de réussir ce pari, il s’est entouré d’une équipe internationale interdisciplinaire de haut niveau : il dirige ainsi près de 140 experts en génomique, imagerie quantitative, biologie, bio-géochimie, biogéographie, océanographie, biophysique, génétique, écologie ou bio-informatique… issus de 23 laboratoires internationaux. De 2009 à 2013, l’expédition Tara Oceans a collecté 35  000 échantillons de plancton, récupérés sur plus de 210 sites représentatifs des différentes mers du globe, au cours d’un périple de 140 000 km. Séchés et conservés au froid, ils constituent la plus grande base de données jamais rassemblée de manière quasi simultanée. La modélisation des écosystèmes marins peut désormais passer à une nouvelle ère, fondée sur la complexité du réel plutôt que de se contenter de modèles rudimentaires. Les premiers articles, dévoilés dans la revue Science1 en mai 2015, ne sont qu’un début, soulignant la fécondité de cette mission. Responsable de l’« imagerie quantitative » pour Tara Oceans au sein du consortium Océanomics, Eric Karsenti tente aujourd’hui d’associer l’imagerie à haut débit des organismes aux données génomiques, avec ses collègues des laboratoires de Roscoff et de l’EMBL.

Eric Karsenti a reçu la médaille d’argent du CNRS, il est membre de l’Académie des Sciences depuis 1999 et Chevalier de la Légion d’honneur.

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