(Français) Antibiorésistance : une task force israélienne crée un modèle informatique pour ajuster les antibiotiques selon l’animal. Vidéo

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Un groupe d’experts israéliens s’est réuni durant 36 heures en février dernier à l’initiative de l’Université Ben Gourion du Néguev et de l’Hôpital Sheba en Israël pour plancher sur l’antibiorésistance, menace sanitaire mondiale, et proposer des solutions innovantes. La problème posé était : « Quelle quantité d’antibiotique doit recevoir le bétail ?”. La task force a réussi à créer un système de gestion électronique des ordonnances délivrées par les vétérinaires. Le ministère de la santé va s’impliquer dans ce projet.

Qu’il est loin le temps où la pénicilline et les traitements antibiotiques étaient considérés comme des remèdes miracles et uniques. Des dizaines de millions de vie ont certes été sauvées grâce à la découverte de la pénicilline dans les années 30 par Alexander Fleming. Mais aujourd’hui, les limites de ces médicaments sont en train d’être atteintes. En cause, leur usage excessif et parfois mal adapté qui a conduit de nombreuses bactéries à devenir résistantes aux traitements. Faisons un saut en arrière de près de 100 ans. En 1941, un policier britannique de Oxford a été le premier humain traité par la pénicilline. Blessé par une épine de rose en jardinant, ce policier avait souffert quelques mois après d’une infection généralisée et était à deux doigts de la mort.  Les médecins ont alors décidé de lui administrer de la pénicilline, substance découverte 12 ans auparavant mais qui n’avait encore jamais été testée sur un humain. Le policier a pu vivre quelques jours de plus puis il est décédé, les médecins n’ayant pas assez de pénicilline disponible pour le traiter. Depuis, le problème n’est plus la pénurie d’antibiotiques. A contrario, le danger réside dans son usage excessif. Cette surconsommation a donné naissance à des bactéries résistantes aux antibiotiques et qui, ne pouvant plus être éliminées dans l’organisme humain, continuent à proliférer. Une menace mondiale dont s’émeut la communauté scientifique depuis de nombreuses années.

Carbapenem-resistant Enterobacteriaceae (CRE) bacteria (CDC picture)

Esther Amar, fondatrice d’Israël Science Info, rappelle : “en mai 2016, des chercheurs ont présenté le cas d’une américaine souffrant d’une infection urinaire provoquée par une souche mutante de la bactérie E. Coli, appelée mcr-1, qui résiste à la colistine, antibiotique ancien et dernière ligne de défense contre les bactéries. mcr-1 avait été repérée en Europe et en Chine chez des humains et des animaux. D’après l’étude, sa présence pour la première fois aux Etats-Unis était un signe de l’émergence d’un pathogène résistant à tous les antibiotiques”.

Un hackaton porteur d’espoir

« La résistance aux antibiotiques est un des défis sanitaires les plus difficiles à surmonter aujourd’hui », s’inquiète le Pr Nadav Davidovitz de l’université Ben Gourion. L’idée de créer un hackaton* a alors vu le jour. Le centre de développement digital de Beer Sheva au sud d’Israël qui fonctionne comme une ONG au  service du bien-être des citoyens, a organisé cet évènement de 36 heures. Des experts se sont donc réunis dans le cadre d’un débat multidisciplinaire avec l’objectif de confronter leurs recherches, de réfléchir ensemble afin de lutter contre la progression de ce phénomène de résistance bactérienne. “Pour résoudre de tels défis, il faut la contributions de tous, pas uniquement des scientifiques mais aussi des représentants de la société civile et c’est l’objectif de ce hackathon », explique Shahar Cahanovitz, un expert israélien du centre Heschel de développement durable. Le hackaton a réuni neuf équipes, chacune planchant dans un domaine spécifique mais  tous centrées sur le phénomène de la résistance aux antibiotiques.

Ainsi une équipe a planché sur la résistance des bactéries acquises dans des centres de soins à cause de l’environnement et de la ventilation, d’autres ont étudié comment s’organisait la surveillance des prises d’antibiotiques, ou sur la manière de réduire les traitements antibiotiques pour le bétail. Des experts ont étudié les initiatives pour améliorer l’éducation sanitaire, pour promouvoir les vaccinations et éviter les infections, pour assainir les réseaux d’égouts et d’évacuation de l’eau et prévenir les contaminations. La presse et les médias ont réfléchi aussi aux actions médiatiques à mener pour une prise de conscience du public et d’autres ont étudié les moyens de prévenir les  risques de contamination dans la chaine alimentaire.

A l’issue des débats, un juré de 15 personnes (professeurs, chercheurs, entrepreneurs, médecins) ont sélectionné trois groupes qui ont présenté les idées les plus innovatrices et prometteuses. “Le fait qu’une solution potentielle à un problème mondial d’une telle amplitude puisse émerger d’un groupe de recherche multidisciplinaire est tout simplement fascinant. Nous sommes restés concentrés pendant deux jours, sans aucune distraction et avons proposé des pistes de réflexions qui dans un autre contexte auraient pris des mois à être élaborées », explique le Dr Uri Lerner, un expert de la politique environnementale. L’équipe qui était chargée de trouver des solutions pour réduire les traitements antibiotiques administrés au bétail a gagné.

La question était : « Quelle quantité d’antibiotique doit recevoir le bétail ?” Pour répondre à cette question l’équipe a estimé qu’il fallait tout d’abord disposer de données précises et suivre les évolutions des quantités administrées. Avec des chiffres précis, des mesures peuvent être prises pour ajuster les doses en fonction des besoins de chaque animal. Le groupe a ainsi proposé un système informatique. L’objectif est que les ordonnances délivrées aux vétérinaires pour administrer les traitements soient gérées électroniquement. Le ministère de la santé va s’impliquer dans ce projet qui doit permettre de réguler les traitements et d’éviter des surconsommations.

Vers une crise sanitaire mondiale majeure

Une initiative certes marginale au regard de l’enjeu mondial mais qui, en complément d’autres innovations, peut participer à une solution plus globale. Car les chiffres sont sans appel : malgré les découvertes scientifiques récentes on assiste désormais à une progression inquiétante de la mortalité due à la résistance aux antibiotiques. En Europe, le centre européen de contrôle des maladies évalue à 25000 le nombre de décès par an dus à la résistance aux antibiotiques. Des études ont montré que d’ici 2050 la résistance aux antibiotiques va se traduire par la mort de quelque 10 millions de personnes chaque année*. Un enjeu qui a conduit l’OMS en 2014 a publié son premier rapport mondial sur ce sujet. Aujourd’hui, l’OMS constate que cette résistance aux antibiotiques n’est plus une prévision mais bien une réalité, ajoutant que, si rien n’est fait, le monde s’achemine vers une ère post-antibiotique, « où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer ».

Ce problème est considéré comme une urgence par cette organisation internationale. “Certains patients ne peuvent plus être traités par des antibactériens car la bactérie est une souche multirésistante » rappelle le Dr Gili Regev-Yochay, Directeur des maladies infectieuses au centre médical Sheba. La bactérie est un organisme composé d’une seule cellule. Des milliards d’entre elles se logent dans notre corps, l’immense majorité sont inoffensives voire bénéfiques pour notre organisme, notamment celles vivant dans nos intestins et qui forment notre flore intestinale. Et souvent notre système immunitaire est capable de les combattre sans l’aide d’un traitement externe.  Mais il existe aussi des espèces pathogènes qui peuvent être à l’origine de graves maladies infectieuses comme la peste, le choléra, la  tuberculose… Les antibiotiques sont des traitements qui évitent la propagation des infections dues à ces bactéries pathogènes autant chez les humains que chez les animaux en les tuant ou en réduisant leur capacité de prolifération. Mais ces traitements, dans le cas de certaines souches, ont malheureusement atteint leurs limites et on parle alors de résistance aux antibiotiques. Celle-ci survient lorsqu’une seule bactérie présente tout à coup une mutation qui lui permet d’échapper aux antibiotiques et elle continue à se multiplier malgré le traitement alors que les autres sont tuées. Ce n’est donc pas le corps humain, comme on a tendance à le décrire qui devient résistant aux antibiotiques, mais la bactérie.

Antibiotiques dans l’agriculture : piste majeure de réflexion 

Les infections causées par des bactéries résistantes sont difficiles et parfois impossibles à être éliminées. Un patient atteint d’une telle infection doit faire l’objet d’une surveillance médicale extrême, doit effectuer de longs séjours en milieux hospitalier et tenter de nombreux traitements alternatifs, douloureux et couteux. Certaines pistes soulignent que l’utilisation excessive d’antibiotiques dans le bétail est une des causes de cette crise à la résistance bactérienne. Au départ les antibiotiques ont été utilisés pour traiter le bétail en cas d’irruption d’une maladie infectieuse mais aussi préventivement pour éviter des contagions susceptibles de décimer des troupeaux entiers. A partir du milieu du 20ème siècle ces traitements ont été administrés également pour stimuler la croissance des bêtes, les faire s’engraisser plus rapidement et réduire le coût et le temps d’élevage et accroître les profits.

Même si les données sont incomplètes, on estime que 63000 tonnes à plus de 240000 tonnes d’antibiotiques sont administrés dans l’industrie agro-alimentaire. Aux Etats-Unis, les animaux d’élevage consomment deux fois plus d’antibiotiques que les humains chaque année. Inquiets de ces pratiques, de nombreux chercheurs dont ceux de l’OMS ont recommandé depuis deux ans aux éleveurs dans le monde entier de mettre fin à la surconsommation d’antibiotiques, notamment chez les animaux sains. Le lien entre l’usage d’antibiotique en agriculture et l’apparition de souches résistantes chez les humains n’est plus une question, mais est devenue une réalité. Face à un tel constat, l’importance de l’initiative des Israéliens au sujet du mode d’administration des médicaments au bétail est pertinente et prometteuse.

Auteur : Agence Zavit avec Israël Science Info

* Contraction des termes hack et marathon, expression utilisée par les développeurs informatiques pour réunir dans un temps limité et en lieu clos leurs forces grâce à une émulation collective.

* Rapport de Lord J. O’Neil sur l’impact de la résistance aux antibiotiques d’ici 2050

Liste des experts du Hackaton antibiorésistance :

Amos Katz, Doyen de la Faculté des sciences de la santé, Université Ben Gourion du Néguev
Nadav Davidovich, directeur de l’École de santé publique de la faculté des sciences de la santé de l’Université Ben-Gourion du Néguev
Professeur Kobi Moran Gilad, École de santé publique, Université Ben Gourion du Néguev.
Miri Weinberger, présidente de l’Association israélienne des maladies infectieuses
Alon Zasak, premier vice-président des ressources naturelles au ministère de la Protection de l’environnement
Dr Shiri Tannenbaum, oncologue, directeur adjoint de l’hôpital Wolfson
Dr Osnat Levzion-Korach, directeur du centre médical Assaf Harofe
Eitan Kerem, directrice des enfants de Hadassah, département des enfants de Hadassah.
Dr. Zohar Brent-Itzhaki, chercheur en santé et environnement, ministère de la Santé
Dr Ron Maor, directeur médical de Teva Israel
Mme Amalia Waxman, responsable mondial de la responsabilité d’entreprise, Teva
Dr. Moriah Allen, École de santé publique, Université Ben Gourion du Néguev
Gili Regev-Yochai, directeur de l’unité de prévention et de contrôle du centre médical Sheba
Mme Yael Ophir, responsable de la santé et des sciences de la vie, Institut israélien pour l’innovation
Mme Michal Eitan, Maître de conférences en entrepreneuriat et innovation, Bezalel

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